Suivant une tradition méditerranéenne millénaire, et sans qu’on y prenne garde, un comptoir commercial « colonial » a pris forme à Marseille ces dernières années. L’événement s’est produit dans le quartier de Belsunce, centre historique d’accueil des immigrants venus des mondes pauvres ou en conflits tout au long de ce siècle. À la différence des anciens comptoirs coloniaux, ce dispositif, qui s’appuie sur les différentiels de richesse entre pays, contribue à l’enrichissement de tous les maillons de son réseau. Il prend place dans une organisation mondiale de l’économie souterraine. Il invente une économie transfrontalière qui bouleverse les desseins des États, du Nord comme du Sud, et leurs hiérarchies rigides. Loin des fondamentalismes, Tunisiens, Marocains, Algériens, Polonais, Turcs, Libyens, Africains se croisent en d’incessants échanges civilisationnels dans cet espace de l’honneur et de la parole donnée. Peu sensibles aux rêves républicains d’une intégration française, ces communautés d’hommes et de femmes actifs interrogent radicalement notre conception de la citoyenneté.