Vivre, c’est prendre un billet « pour l’abattoir ». Naître est un « acte pourri à la racine » parce que tout est truqué en nous, au départ, par « la décision des gènes » et parce qu’il s’agit d’un voyage vers la mort. Sur ces prémisses, avec une identité qui grelotte, nous connaîtrons la parodie, l’erreur, la solitude, la douleur ; nous subirons la « trahison » de Dieu qui nous étrangle sans se presser, en bourreau professionnel. Tout est inutile, et d’ailleurs inexistant. Le réel, refermé sur soi sans rémission, nous « précède » et nous « suit » de ses défenses. Le poète, non sans masochisme, se met lui-même « à la broche ». Il visite des bas-fonds psychologiques, moraux, affectifs qu’il filme en images hallucinatoires. Ce côté « souterrain » de la poésie d’Henri Rode a été salué par les poètes du Nouveau Réalisme dès la publication de « Mortsexe », en 1980. Il n’y a pas ici d’automatisme mais le décryptage d’un délire intérieur pénétré de logique et de vérité assumée. On y sent l’insomnie, les traques dans la ville inquiétante, parmi « les chairs éclatées qui quémandent ». À ce niveau de débâcle interviennent la révolte, l’orgueil funèbre, la volonté de « mordre à l’interdit, à fond ». Le poète, malgré « l’inutile (qui) mange ses mains », fait toujours confiance à l’œil, « espion » jamais détraqué, qui scrute l’inconscient autant que le monde extérieur sans accepter le moindre refoulement. Reste la chair. « Le régal des langues », « tout dans le sexe » — il faut en profiter même s’il finit lui-même par devenir « le pieu de ténèbres ». Reste le cœur : et même dans « un cachot sans mesure », même devant « un avenir sans réponse », brillera l’image incorruptible de la mère en allée.