Le marxisme-léninisme conserve, dans notre présent, la force d’une évidence. C’est pourquoi il est suspect. Sa preuve, n’est-ce pas son existence massive, palpable, dans la doctrine des pays du « socialisme réel », dans la philosophie des partis issus de la IIIe Internationale, dans la mise en forme d’un ensemble de thèses développées, comme le nom l’indique, par Marx et par Lénine, dans des livres, des hommes, des sociétés, des politiques, qui sont des millions et forment une géographie planétaire, dans des espérances ou des peurs, la promesse des lendemains-qui ou le goulag ? Ne voit-on pas des partis communistes renoncer au marxisme-léninisme, comme on abjure une foi et d’autres s’en réclamer, comme on relève un drapeau ? Et qui saisit quoi, le mort le vif ou l’inverse ? Les éléments pour une critique, que nous livre Georges Labica, bouleversent allègrement nombre d’idées reçues. S’attachant à la reconstitution de la genèse du corpus, ils exposent les liens, jusqu’ici mal perçus, entre l’idéologique et le politique, notamment dans la conjoncture qui voit triompher la dogmatique stalinienne. D’un marxisme-léninisme dominant qui impose l’intégration, véritablement hégélienne, de la philosophie, de l’État et du parti, aux formes underground qui le minent ou à ce travail du particulier qui le dévie, on en appelle contre toutes les pseudo-rectifications, à une indispensable déconstruction. Peu de protagonistes sortent indemnes de ce décapage d’un demi-siècle d’histoire ; Marx et Lénine, quant à eux, n’en paraissent guère amoindris. Un dossier, en tout cas, indispensable pour qui veut comprendre l’actuelle « crise du marxisme ».