Dans notre pays de castes et de hiérarchies, savoir qu’il existe des réussites fondées sur l’anticonformisme est plutôt rassurant. Celle de René Sautier est exemplaire à plusieurs titres : lancer un groupe pétrolier d’État dans des secteurs nouveaux pour lui (la pharmacie, les produits de beauté, les biotechnologies), mener avec succès cette aventure industrielle, et faire d’une entreprise née dans le giron du secteur public une des vedettes de la bourse, le cas est sans doute unique en France. Par chance, notre auteur fait preuve d’autant d’irrévérence comme homme de plume qu’il a montré d’audace comme chef d’entreprise. Un don d’observation très aigu et une totale liberté de jugement, servis par une expérience multiforme : un régal ! Le système français de production des élites, avec ses rites d’initiation et ses conséquences stérilisantes, l’auteur le connaît de l’intérieur. De même qu’il connaît, pour l’avoir longuement pratiqué (et souvent bousculé) le monde des technocrates et de l’Administration, attaché surtout à préserver sa puissance et à nourrir son autojustification. Il n’est pas plus tendre pour nombre de grandes entreprises, où la langue de bois et la déresponsabilisation sont les plus sûrs garants de l’inefficacité. Ni pour les gourous de la recherche et de la prévision, d’autant plus portés à parler de l’avenir qu’ils veulent faire oublier leurs erreurs passées… Le constat est sévère, mais nullement désespéré. L’immobilisme est presque toujours le résultat de coalitions tacites d’intérêts, qu’il faut avoir le courage de remettre en question. D’où cette morale provocatrice : le patron, c’est celui qui provoque les crises.