Des galériens, des forçats, des bagnards

Un monde à part, atroce et fabuleux, bien réel pourtant, et qui possède une longue histoire en marge de l’Histoire : c’est le bagne de France ou, comme on l’appela pendant longtemps, la chiourme, — depuis les fières et terribles galères de Marseille, sous l’Ancien Régime, jusqu’aux pénitenciers d’outre-mer, récemment disparus, en passant par les bagnes de Brest, de Toulon et de Rochefort. Michel Bourdet-Pléville nous ouvre les lourdes portes de cette société interdite qui, sur les « bancs de nage » des galères, comme sur les chantiers de Guyane, a fonctionné durant plus de deux siècles selon ses propres lois et ses propres rites, ses légendes et ses réalités quotidiennes, ses fêtes et ses supplices, broyant dans ses rouages d’extraordinaires héros et de sinistres victimes. À vrai dire, il semblerait que c’est la même « chaîne » de malheureux, rivés les uns aux autres, qui piétine à travers les siècles ; misérable troupeau de réprouvés, que nos justices successives rayaient de la communauté humaine, pour les traiter plus durement que du bétail ; main-d’œuvre vite décimée, constamment renouvelée, dont Michel Bourdet-Pléville, s’appuyant sur une très riche et solide documentation, nous offre une évocation précise et bouleversante. Les faits, ici, parlent d’eux-mêmes, pour accuser la faillite permanente d’un système tout aussi incapable de rendement économique, que d’amendement moral. Ils attestent la réalité, bien concrète, d’un cauchemar organisé, réglementé, cohérent, collé à l’envers de notre vie d’honnêtes gens, comme un autre royaume dont les horribles prestiges nous stupéfient, nous dépaysent et nous fascinent.