Pourquoi étudier la lecture ? Récemment, en France, le sujet a suscité une série de travaux de type rhétorique, sociologique, historique et psychanalytique, et l’on sait que les psycholinguistes s’intéressent depuis longtemps à la lecture, et aux méthodes de son apprentissage, fondamentales pour nos systèmes scolaires. Que pourrait apporter une étude consacrée à la lecture en Grèce ancienne à cette recherche axée sur la lecture à l’époque moderne, voire contemporaine ? En choisissant la Grèce ancienne comme terrain d’enquête, on se donne les moyens de voir s’élaborer des pratiques de lecture qui, pour la première fois dans l’histoire, s’appuient sur un alphabet comparable au nôtre. Très tôt, on voit comment l’écriture, dont le but est ici de provoquer une lecture à haute voix, instaure un jeu de pouvoir entre le scripteur et le lecteur, l’instrument vocal qui doit assurer la réalisation de la trace écrite, jugée incomplète parce que silencieuse. Autrement dit, le scripteur est censé se servir du lecteur, parfois tenu de prononcer un “je” qui n’est pas le sien. Les façons dont les Grecs ont compris cette relation de pouvoir, centrée sur la voix lectrice, est le thème majeur de ce livre. C’est aux pratiques sociales, telles que le mariage et la pédérastie, qu’ils ont emprunté les formes dans lesquelles ils ont pensé cette relation. Bien que ces façons de comprendre la lecture soient — par là — assez éloignées des nôtres, elles restent en même temps assez proches pour nous inviter à repenser, en termes sociologiques plutôt que techniques, une question comme celle de savoir pourquoi telle personne ne lit pas, ou ne veut pas lire.