Moins de trois millions d’habitants, mais le plus grand gisement de bauxite du monde, quatre-vingt-dix pour cent d’illettrés, mais les plus jeunes ministres dont on puisse rêver, une indépendance jouée à pile ou face, mais obtenue - pour la première fois dans l’histoire - sans verser une goutte de sang, des sacrifices et des incantations dans les villages reculés, mais un gouvernement écouté et efficace jusqu’au fond de la forêt, bref un pays que le monde entier surveille avec la plus extrême attention et où la France, la Chine et un marxisme un peu dissous par les chaleurs, jouent leur prestige et leur influence, voilà ce qu’est aujourd’hui la Guinée livrée à elle-même. Dans ce livre, Fernand Gigon ne s’est pas contenté de nous raconter son entrevue avec Sékou Touré, de nous faire assister à une séance décisive du Conseil des ministres, ou de nous décrire la population de Konakry, travaillant volontairement le dimanche pour restaurer les rues de la ville : il a, certes, photographié la Guinée, le sourire éblouissant de son Président, la gesticulation ancestrale de ses tribus et, à l’autre limite de la brousse, le comportement des ouvriers noirs sur l’immense chantier de Fria, mais c’est pour analyser ensuite et mieux comprendre une expérience politique et humaine, probablement unique dans l’histoire du siècle. Si la Guinée, malgré les balbutiements d’une liberté aussi soudaine, ne trébuche pas dans les mois à venir, tous les autres pays d’Afrique noire seront tentés d’imiter son exemple. Si, au contraire, Sékou Touré et son parti vont à un échec, leur faillite entraînera avec elle beaucoup d’illusions et de désordre, et les événements auront établi que la société africaine ne peut être déterminée que par des règles étrangères à l’Afrique. Or, Fernand Gigon, au terme de son enquête, affirme que les chances de la France sont restées intactes en Guinée. N’est-ce pas la France qui a révélé aux Africains le respect de l’homme ? Aujourd’hui, Sékou Touré offre à l’Occident une chance historique : avant de penser en marxiste, il pense en Africain, et avant d’agir en Communiste, il laisse parler la réalité de son pays. Cette option peut assurer, il en est temps encore, la continuité de la France sous l’équateur.