En 1992, seize ans après sa mort à 88 ans, les nouvelles de Paul Morand sont entrées dans la Pléiade, dernier luxe posthume d'un classique du XXe siècle. Proust ne s'était pas trompé, qui avait accepté - en 1921 - de préfacer « Tendres stocks », ses premiers portraits de femmes, non plus que Céline, qui n'avait pas hésité à déclarer : « Je le reconnais comme mon maître. » Et les deux jeunes auteurs de cette biographie témoignent que ce grand écrivain reste un séducteur.La vie de Morand ressemble à un roman. Poète-écrivain-diplomate, à la manière d'un Chateaubriand, auteur comblé, homme couvert de femmes, marié à une princesse byzantine à l'intelligence redoutable, infatigable écumeur de continents — dans tous les domaines, le succès. Et pourtant, rarement un sourire lumineux sur son curieux visage d'Asiate. À l'un de ses personnages, il fait dire : « Je suis une mer fameuse en naufrages : passion, folie, drames, tout y est, mais tout est caché. » Confidence à coup sûr autobiographique. D'où vient, alors, cette inaptitude au bonheur ?Grâce à de très nombreuses sources inédites — correspondances, carnets personnels de l'auteur, lettres d'Hélène Morand à son mari — et aux témoignages des derniers proches de l'écrivain, Pascal Louvrier et Éric Canal-Forgues nous présentent un Paul Morand intime, enfin débarrassé de sa légende d'homme pressé et superficiel. Lui qui affectait le détachement, redoutant d'être prisonnier d'un quelconque engagement, fut séduit par Pierre Laval. Aussi accepta-t-il une ambassade à Bucarest, fut-il conduit à s'exiler en Suisse, et dut-il attendre que de Gaulle levât l'interdit pour entrer à l'Académie. On découvrira un être fragile, en proie au doute, toujours en mouvement car angoissé par la fuite du temps, hanté par la décadence de la civilisation européenne. On découvrira aussi l'ampleur de sa culture, la lucidité de sa vision, son ambitieux projet, qui fut d'intégrer - dans son œuvre - la modernité d'un siècle révolutionné par l'avion supersonique et la bombe atomique.