« Cette France que nous avons devant nous, cette France qui nous arrache nos larmes, c'est la France enjuivée ». Ainsi débutait un article intitulé « À l'école du Juif », paru en 1887, dans le plus populaire des journaux catholiques de l'époque : « La Croix ». Fondée par les Assomptionnistes, en 1883, « La Croix », de même que « Le Pèlerin » créé dix ans plus tôt, a répandu l'antisémitisme dans la France chrétienne jusqu'en 1900, date à laquelle les Assomptionnistes durent quitter le pays. Son rédacteur en chef, ses rédacteurs n'étaient ni des théologiens, ni des doctrinaires. Ils exprimaient le sentiment antisémite de leur énorme public : ouvriers du Nord opprimés par le capital, paysans pris de crainte devant l'usurier, petits commerçants menacés par les grands magasins, rentiers affolés par la Bourse. À ce sentiment collectif, nourri par le krach de l'Union Générale, le scandale de Panama, des prêtres soucieux de défendre la France chrétienne traditionnelle contre le monde moderne athée, donnèrent une résonance nouvelle et une justification religieuse.On leur reprochera à jamais d'avoir contribué à transformer la méfiance à l'égard des Juifs en haine. Mais furent-ils seuls coupables ? Ils ne furent publiquement désavoués ni par la hiérarchie catholique française, ni par le Pape Léon XIII. Et, aujourd'hui encore, beaucoup de chrétiens — et d'athées — accueilleraient volontiers les leçons du Père Bailly. C'est à un examen de conscience impitoyable, que Pierre Sorlin invite tous les hommes d'aujourd'hui.