Le XVIe siècle fut une époque de grands bouleversements, de découvertes et de luttes idéologiques. Si les Français savent quels furent les effets de ces révolutions dans l’Europe occidentale, ils ignorent en général ce qui, pendant la même période, se passait au-delà du Rhin. Elizabeth Tudor, Philippe II, Henri IV sont universellement connus : leur contemporain, l’Empereur Rodolphe II, ne l’est guère et cependant il mériterait d’être également célèbre. Non que ce petit-fils de Charles Quint ait été un conquérant ou un grand homme d’État. Sa nature ne le lui permettait pas. Marqué par les redoutables atavismes des Habsbourg, c’était un personnage bizarre et fascinant qui, détestant le réel, rêva plutôt qu’il ne vécut. Aussi son règne fut-il jalonné de malheurs éclatants. Mais ce chimérique a laissé sur notre temps des empreintes beaucoup plus profondes que celles de la plupart des princes de cette Renaissance dont il fut l’incarnation suprême. Mécène incomparable, il rassembla un nombre prodigieux d’œuvres d’art. Et surtout, son amour de la magie, son goût du surnaturel, sa curiosité du Cosmos firent que les savants dont il encouragea les travaux en les protégeant de l’Inquisition franchirent la barrière qui sépare l’astrologie de l’astronomie. Grâce à lui, Kepler put énoncer ses fameuses lois et ouvrir la voie où devaient passer les cosmonautes modernes. Philippe Erlanger s’est appliqué à faire revivre en son étrange Cour de Prague, parmi ses trésors, ses artistes, ses alchimistes, ses mages, ses chercheurs, au milieu des complots et du tumulte sanglant des guerres de Religion, cet empereur fastueux, mélancolique, torturé, qui préféra les étoiles à ses royaumes terrestres.