L’intérêt du « Fernand Ledoux » de André Lang n’est pas seulement d’ordre biographique. Certes, l’enfance et l’adolescence rêveuses de Fernand Ledoux, fils d’un grossiste — sucres et vins — de Tirlemont ; l’insolite naissance de sa vocation théâtrale au séminaire de Saint-Trond ; la façon dont il s’engage en 1914, pour jouer, dans l’armée belge, son premier grand rôle ; son arrivée à Paris, en complet bleu, chapeau Rembrandt et canne de jonc ; sa discrète entrée en 1921 à la Comédie-Française, qu’il quittera une première fois vingt ans plus tard dans des circonstances tragi-comiques, et où il ne semble pas vouloir poursuivre sa carrière — tout cela, conté avec vivacité et qui donne d’un des grands comédiens de ce temps une image forte en couleurs et en relief, constitue l’attrait romanesque et anecdotique du livre. Mais André Lang a voulu aussi mettre à profit ses cordiales rencontres avec Fernand Ledoux pour faire avec lui, en toute indépendance, le tour des problèmes du théâtre d’aujourd’hui. Les libres entretiens de l’acteur-metteur en scène et du critique-auteur dramatique sur les Quatre (Baty, Dullin, Jouvet, Pitoëff), leurs vertus, leurs erreurs, les conséquences de leur brutale disparition et du démembrement de leur, royaume, l’interprétation abusive de théories qui ne valaient que pour eux-mêmes ; sur les remèdes à apporter à la fièvre de décoration et de mise en scène qui a gagné la France entière ; sur la mission de la Comédie-Française et les causes de crises périodiques, etc., font de ce petit livre un document passionné, un vivant témoignage, sévère mais loyal, qui suscitera peut-être de vives réactions, mais dont on devra reconnaître qu’il ne fut inspiré, au comédien comme au biographe, que par le haut souci des destinées de l’art dramatique français et de la grandeur du Théâtre.
