Sobre, aigu, le talent de Claire Sainte-Soline est un art des nuances et de la discrétion. La grande romancière du Dimanche des Rameaux et de la Mort de Benjamin semble particulièrement à l’aise dans les nouvelles, où s’exprime ce don de pénétrer, « sous l’apparente banalité des lieux et des usages », ce quelque chose d’insolite qui fait de tout être un mystère. Les hommes, les bêtes, tous sont habités d’un démon secret, que Claire Sainte-Soline débusque avec une audace incisive et lucide. Qui était cette marquise du désert disparue dans les sables ? Comment définir le caractère de l’étrange oncle Max ? Dans quelle solitude proche de la folie s’enfonce ce jaloux qui jette le courrier chaque matin ? Quelle trouble amitié liait ces deux ombres, ces deux jeunes gens promis à un destin tragique ? Cette honnête bourgeoise qui cajole son chat Brutus peut-elle être, avec une intolérable bonne conscience, la criminelle qu’on découvre ? Et cette jeune femme qui se meurt à la clinique sait-elle, ou ne sait-elle pas qu’elle est condamnée ? Avec une férocité tranquille, Claire Sainte-Soline regarde le monde en face, sans s’étonner de rien. Elle est fataliste à sa façon ; il y faut du courage. A présent qu’elle n’est plus, on ne manquera pas d’être frappé par la constante présence de la mort qui rôde dans ces pages, insidieuse, patiente, attendant son heure. Voici une dernière œuvre qui se lit le cœur serré, comme si l’auteur y avouait pudiquement une angoisse de tous les instants, plus émouvante qu’un cri, plus poignante qu’une révolte.