Le jardin des rochers, écrit directement en français, est le plus ancien des grands romans de Kazantzaki. Dans une langue qui éclate déjà d’un étonnant lyrisme. l’écrivain confronte sa nature et sa sensibilité de méditerranéen à ce qu’il vient de découvrir du génie asiatique, immuable semble-t-il et pourtant alors en pleine métamorphose. On ne manquera pas de comparer cette rencontre de la race jaune à celle qu’en fit, presque à la même époque, un autre très grand écrivain, André Malraux. Mais si ces deux voyageurs laissèrent pareillement flamber dans leur œuvre les grands antagonismes de la condition humaine, l’expérience asiatique fut avant tout pour Kazantzaki l’occasion inespérée de suivre, au contact d’une humanité bouleversée, son propre itinéraire intérieur. Le thème essentiel de ce livre est celui de l’homme méditatif placé devant des hommes livrés corps et âme à l’action par la force du moment historique et parfois au détriment de l’âme. De là, sans doute, la cruauté de cette histoire, mais autour d’elle, quelle poésie et quelle sensualité ! Le moindre objet, le moindre visage, la moindre plante, tout est approché avec tendresse et humour, et presque avec une sorte de volupté physique. Peut-être touchons-nous ici à la véritable grandeur de Kazantzaki, car dans Le Jardin des Rochers, sa forme de participation au drame est tout intérieure : il est spectateur mais s’identifie aux personnages et devient, pour ainsi dire, leur champ de bataille. Or, durant toute sa vie, que fut la sainteté pour cet homme, sinon le combat lui-même ?