Il existe dans les replis des vieilles provinces des personnages insolites dont nul ne se soucie, sauf leur entourage. Ils sont au secret. Ils ont tout loisir de creuser leur originalité parce que leur milieu ne leur laisse que ce choix : ou s’enfoncer en eux-mêmes et y étouffer, ou bien partir en cassant les vitres pour aller respirer ou mourir ailleurs. Alcide s’est développé dans un micro-climat à la fois bourgeois et rural, mais son originalité vient d’ailleurs ; il est entré tout fait dans ce milieu hostile dont l’hostilité l’a irrémédiablement enfoncé dans la solitude. On verra peut-être en lui, un monstre. Comme les monstres, il naît par l’effet d’une sorte de génération spontanée et ne se reproduit pas. Il est et il meurt. Il ne laisse rien que d’étranges images en négatif. Il ne se définit que par aphorismes et ne s’éclaire que par facettes. Ses limites sont coupées au rasoir. Lui-même tranche dans sa vie, il s’ampute, se réduit et s’anéantit. Comme la solitude n’est pas de ce monde — même pas de son désert où il croit s’être transformé en statue de sel — il oublie qu’en tranchant dans sa chair et son âme, c’est l’âme et la chair des autres qui sont blessées. Dans cet environnement de cendres stériles, et en dépit de sa volonté d’anéantissement, l’autre face du monde, la face verdoyante et fertile transparaît : celle où croissent les arbres, les champignons, les herbes et les fleurs, celle des pluies et des larmes. Elle lui fait peur parce qu’elle a raison contre ses raisons.