Croyez-vous qu’il soit possible de raconter la vie d’un homme dont la postérité n’a retenu avant tout que le pseudonyme ? Est-il possible d’établir un « état civil » du pseudonyme ? Autrement dit, « Lewis Carroll » est-il bien Charles Lutwidge Dodgson, troisième enfant de Charles Dodgson, desservant de la paroisse de Daresbury, près de Manchester, et venu au monde le 27 janvier 1832 ? « Lewis Carroll » est-il ce même Charles Lutwidge Dodgson qui mourra en 1898, au sommet de la gloire après une existence vouée aux plus bizarres enchantements de l’écriture et jalonnée par des publications qui sont autant de chefs-d’œuvres incongrus : Les Aventures d’Alice au pays des merveilles, en 1865 ; De l’autre côté du miroir, six ans plus tard ; La Chasse au snark, en 1876 ; Sylvie et Bruno, en 1889 ? Or, de son côté, cet obscur M. Dodgson a fait semblant, bien souvent, d’ignorer son pseudonyme — ou son double — en se vouant à la vie religieuse, en prononçant des sermons (malgré son bégaiement), en enseignant, vingt-six années durant, à Christ Church, Oxford, en devenant professeur de logique dans un collège de jeunes filles, etc... etc... Et qui l’emporte, de Dodgson ou de Carroll, quand il se fait photographe d’enfants, épistolier maniaque, auteur d’écrits mathématiques ? Curieux tout de même que le 8 novembre 1897 il ait décidé de renvoyer, avec la mention « inconnu », toutes les lettres adressées à « Lewis Carroll, Christ Church » ! Alors : Dodgson ou Carroll ?