La Pompadour de la Troisième République, dont le livre Madame Steinheil ou la connaissance du Président retrace la vie agitée, était née Meg Japy. Cette très belle fille d’un industriel de l’Est fut mariée, jeune, à un vieux peintre barbichu, cousin de Meissonier. C’est à vingt-huit ans qu’elle rencontra le plus sémillant des présidents de la Troisième République, Félix Faure, “Félix le Bel”, et le 16 février 1899 que son superbe amant mourut des suites de sa dernière étreinte avec elle. Meg était alors dans sa trentième année et en paraissait six ou sept de moins. Une aura mondaine l’entourait car son salon recevait toutes les personnalités des arts et des lettres, de la musique, de la peinture, de la poésie, sans compter les hommes politiques, les nobles étrangers, les savants, les philosophes... Elle pouvait se vanter de tenir le premier salon de Paris. Meg snoba le “tanneur du Havre”, parvenu au plus haut rang de la hiérarchie sociale en partant du plus bas, mais le Président réussit à en faire sa maîtresse et son égérie, au temps où la France cahotait durement de Panama en affaire Dreyfus sous les orages intérieurs et de Fachoda à Agadir dans les tempêtes d’une Europe convulsée. Bref, la dépouille du Président aux yeux bleus rendue présentable les badauds de l’Exposition Universelle de 1900 qui allait s’ouvrir retinrent l’anecdote qui court encore : le jeune vicaire alerté qui vient donner l’extrême-onction au malade demande à un garde si le Président a toujours sa connaissance et le militaire sans malice répond : “Elle vient de sortir par l’escalier de service.” Si non e vero. En fait, Madame Steinheil, jolie femme insouciante jetée par le destin dans des drames sordides (le double meurtre de l’impasse Ronsin où neuf ans plus tard, elle perdra à la fois son mari et sa mère...) précipitée dans ces accidents qui tissent la trame d’ombre de la vie, valait mieux que cette plaisanterie sémantique. Meg Steinheil fut réellement une Pompadour à un moment où se jouait non seulement le destin de la Troisième République mais celui de l’Europe. De sensibilité dreyfusarde, elle tint un rôle dans le court moment où Félix Faure fut le premier citoyen de France. Le récit commence donc au printemps 1908 par un fait divers noirâtre, dans le paisible quartier de Vaugirard, au temps des fiacres d’Arsène Lupin et des brigades du Tigre (un Président du Conseil très contrarié), des maillots de bain au-dessous du genou, du téléphone à manivelle, des films d’art Pathé et des policiers à grosses chaussures réglementaires qui se suivent les uns les autres à la façon des peintres de la jeune affiche Ripolin, au temps de la “douceur de vivre” tant vantée par ceux qui en profitèrent...