Gilberte Rongier mourut en 1960, à l’âge de trente-huit ans. Depuis six ans elle souffrait d’une affection de nature cancéreuse. Certes, on s’était ingénié à lui cacher le nom de son ennemi, mais on s’interroge parfois en lisant ses lettres : était-elle dupe, feignait-elle de l’être, voulait-elle l’être ? Écartée de la vie parisienne et de son milieu habituel, contrainte à des séjours fréquents à la campagne et dans des cliniques, elle écrit à ceux qu’elle aime. Ce livre est fait d’un choix de ces témoignages et de ces lettres. « Pourquoi moi ! Quelle injustice ! » Sans doute ce cri de Gilberte Rongier est-il celui de tous les malades. Pourtant la révolte qu’il exprime est ici plus fortement partagée par ceux qui l’entendent. Cette jeune femme devait vivre. Elle devait vivre car elle était faite pour créer de ses mains des images de la vie. Elle peint. Sa passion est la peinture. C’est aussi son tourment. Ses forces déclinent, elle les rassemble, les rallie sans cesse, en efforts désespérés : « Il ne me reste plus que la peinture... Oui, mais me débattre entre la maladie et la peinture, que c’est lourd ». Lutte violente. Combat avec l’Ange. Par la peinture, Gliberte Rongier voulait se « définir contre les autres ». La maladie lui ouvre d’autres voies. Elle entre dans la communauté vaste de la souffrance. Sans jamais rejeter notre monde, elle se lie au monde des patients. Je n’ai pas connu Gilberte Rongier. D’autres l’évoqueraient plus justement, écrivains et artistes qui furent de ses amis, tels Henri Thomas, Étienne Lalou, Arthur Adamov, Paul Rebeyrolle. Mais il me semble la connaître, aujourd’hui. Cette jeune femme morte est désormais dans ma vie, comme elle sera dans la vie de ceux qui liront cette correspondance et qui verront ses peintures. L’étranger ne se sépare pas d’elle, malgré le caractère tout personnel de ces lettres adressées à son mari, à ses proches, à des compagnons de maladie. Le cercle intime s’élargit, nous entrons dans une confidence en principe réservée : confidence inoubliable dans sa simple vérité humaine. Max-Pol Fouchet