« Voici un livre d’images soudées entre elles par des liens mystérieux et puisées, sans respect d’aucune chronologie, dans la mémoire d’une enfance ; mon enfance, comme toutes les enfances, n’a pas réussi à se faire oublier, et en cela, elle n’a rien d’exceptionnel. Au milieu ou au terme d’une vie, il ne nous reste plus de cette première valse que de chers instants brouillés et de rares éclairs fulgurants. Je voudrais comparer la poudre explosive et la cendre de cristal de ces flammèches avec les incendies qu’elles ont fini par allumer. Il me semble qu’au départ mon enfance était une drogue inoffensive et délicieuse, puis qu’elle est devenue un parfum nauséabond qui n’a cessé d’agiter et de fouetter sauvagement les naseaux de ma mémoire. Car je me souviens et je ne me souviens pas. Et je me demande toutefois si cette enfance pourrait servir à apprivoiser davantage mes jours et à distiller de savantes doses de sagesse ou de petits conseils d’imprudence. Je voudrais bien, en tout cas, qu’elle continue, avec ses mortelles irradiations, à multiplier mes étonnements. Mais au moment d’écrire cela, j’aperçois un visage aux joues fermes qui rougit et qui tremble à la vue d’un bouquet de pivoines et l’image ressuscitée me tend une main douce, chaude et subtile. Que cette enfance soit donc la caresse tant désirée ! »