Livre hors série d’un auteur hors série : voici, par un prêtre entré au travail en 1949 dans une des usines du plus gros centre sidérurgique, au cœur de la France, et qui a parcouru lui-même tous les échelons des responsabilités syndicales, l’analyse, sur vingt ans (1945-1964), des procès-verbaux réguliers du Comité central d’Entreprise qui réunissait les délégués du personnel et ceux des maîtres de forges. Cette étude, unique en son genre, ne gagne que plus de force à conserver — jusqu’à l’anonymat transparent des lieux et des personnes — son aspect scientifique ; cette thèse nous fait vivre — cadres, patrons et ouvriers — la vie réelle d’une entreprise dans le secret de laquelle il est si rare de pénétrer. Qu’il s’agisse des problèmes du personnel : sa promotion, sa formation, ses revendications, ses licenciements ; qu’il s’agisse des réactions de ce baromètre de l’industrie française aux vicissitudes de l’économie depuis la guerre, de la stratégie patronale et syndicale, de la pratique quotidienne des antagonismes de classes ou des tentatives de paternalisme ou de « participation » ; qu’il s’agisse enfin de l’adaptation technologique ou du style de la discussion, ces cinquante-sept fascicules de procès-verbaux disent tout, concrètement, à qui sait les lire. Derrière l’apparente froideur des dialogues feutrés et des bilans chiffrés, le lecteur même non averti ne pourra qu’être frappé par le caractère implacable des rapports de force, la violence inouïe des enjeux, le traumatisme des licenciements collectifs que souligne tel rapport médical, l’archaïsme idéologique des professions de foi et cette atmosphère à la Zola que révèle, au lecteur encore étonné des grèves sauvages de 1968, cette plongée dans le monde du travail.