Les découvertes récentes de la biologie génétique ont suscité, de la part de leurs auteurs eux-mêmes, un certain type de réflexion philosophique. Les savants veulent en effet, comme a dit l’un d’entre eux, penser “leur discipline dans l’ensemble de la culture moderne”, c’est-à-dire dégager de la pratique et de la théorie scientifiques des idées “humainement signifiantes”. Les philosophes sont invités, par là même, à réfléchir sur la réflexion des savants, en tant que celle-ci n’est plus seulement l’expression d’une activité scientifique, mais son prolongement idéologique. Le philosophe ne peut et ne doit rien dire sur les admirables travaux des généticiens et des biochimistes actuels, mais il a droit à la parole en ce lieu d’équivoque où les concepts scientifiques se chargent d’une signification philosophique ; où les idéologies philosophiques sont convoquées au tribunal du savant ; où ce dernier développe sa propre philosophie ou sa propre éthique. Lorsque le savant fait œuvre de philosophe, il ne peut se contenter d’extrapoler ; car alors il risque la même mésaventure qui guette le philosophe étendant à la biologie les méthodes et les idées philosophiques. Une morale de la connaissance scientifique respecte-t-elle la spécificité de la morale ? Répond-elle aux aspirations de l’homme contemporain ? Lui donne-t-elle des raisons de vivre, et le “goût de vivre” ? Un “socialisme” déduit d’une éthique de la connaissance, elle-même issue de la biologie, mérite-t-il bien son nom ? Il semble qu’on n’y retrouve ni les aspirations des hommes, ni le savoir des sciences humaines. Peut-on enfin déclarer la mort des idéologies si c’est en proposant une idéologie nouvelle : celle du hasard et de la nécessité ?