L’écran de la mémoire, c’est ce fond obscur sur lequel un personnage de Claude Simon voit défiler les images du souvenir ; mais c’est aussi cette barrière qui s’interpose entre toute parole sur un film et ce film lui-même, dont le critique ne parlera jamais qu’à distance, une fois éteinte sa vision. De cette distance, l’auteur a voulu montrer qu’elle est constitutive du discours cinématographique. A travers les différents films évoqués ici, et leurs écritures diverses apparaissent les étapes d’une même conclusion : toute création cinématographique se mesure à l’écart qui s’établit entre les perceptions immédiatement offertes et leur signification longuement élaborée dans les intervalles et les silences. Par sa mémoire des images et des sons, le spectateur participe à leur confrontation, d’où naît, au terme du parcours, la forme ultime, mais absente, du récit En ce discours indirect, conquis contre l’orientation naturelle des techniques qui le fondent, le cinéma s’affirme ainsi comme un art où le visible, pour exister, doit d’abord s’effacer. Faut-il alors s’étonner que, dans bien des films dont il est question, paroles et visions semblent émerger de la nuit, comme passées au crible par un narrateur qui dresse l’écran de sa mémoire entre ce que nous percevons et ce qu’en fait il nous dit ? Aussi ces pages représentent-elles moins le souvenir des films que leurs traces, car seules ces traces, une fois reconstituées, permettent de remonter à l’origine du souvenir, — celui, quel qu’il soit, qui parlait dans une œuvre.