Le Québec est volontiers considéré en France, dans les milieux spécialisés, comme le paradis de la psychiatrie moderne. Un gouvernement intelligent, à l’écoute des techniciens compétents, y aurait en quelques années accompli une « révolution tranquille », faisant éclater le vieil asile, donnant aux psychiatres les moyens qu’ils demandaient et leur permettant ainsi de donner corps à ce qu’on appelle en France, où elle poursuit son interminable existence embryonnaire, la « psychiatrie de secteur ». Philippe et Edmée Koechlin, deux psychiatres français très connus pour l’œuvre de libéralisation et d’organisation thérapeutique qu’ils ont effectuée dans plusieurs établissements français, notamment à l’hôpital psychiatrique de Plaisir en Seine-et-Oise, ont été invités en 1970 par le gouvernement du Québec à venir y passer une année à titre de conseillers techniques. Ils ne s’attendaient pas à trouver, au fond de l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu à Montréal, une « salle » du plus pur style asilaire, n’ayant rien à envier à ce qu’on trouve encore çà et là en France, et plus couramment dans des pays moins « avancés » comme l’Italie ou l’Espagne. Les Koechlin ont pensé que leur mission de « conseillers techniques » était d’abord de s’attaquer à cette ignominie. Ils y ont passé une année et ont consigné dans un récit dépouillé le déroulement de cette entreprise. La leçon qu’ils en tirent, et qu’il faut proclamer, c’est que l’orientation technocratique actuelle de la psychiatrie dans les pays capitalistes, fondée sur les notions de rendement et de rentabilité, loin de travailler à détruire l’Asile, le pérennise et même le recrée là où il était en voie de disparition. La distinction entre malades à court, moyen et long terme, corollaire de la notion absurde de rentabilité des soins, est une stupidité criminelle de plus à mettre au compte des technocrates de la santé. Le récit dénonciateur des Koechlin est de ceux qui appellent avec urgence une réflexion politique. R.G.