"J’ai eu longtemps avec moi, écrit Montaigne, un homme qui avait demeuré dix ou douze ans en cet autre monde qui a été découvert en notre siècle. Cette découverte d’un pays infini semble être de considération. Cet homme que j’avais était simple et grossier, qui est une condition propre à rendre véritable témoignage." Je suis allé en Amérique, non pour la conquérir, non pour en tirer quelque enseignement, mais parce que j’avais tellement exaspéré mon monde qu’on m’eût envoyé n’importe où, pourvu que ce soit le plus loin possible. Je n’y fus pas perdu pour autant. L’ordre dominicain est catholique, c’est-à-dire universel. Il y a des dominicains en Amérique, qui me reçurent comme un des leurs. En fait, je ne me suis jamais senti autant chez moi. Depuis Christophe Colomb, on n’en finit pas de découvrir l’Amérique. J’y suis entré discrètement et sûrement, comme un chat rentre à la maison sans bruit, par la chatière, et qui sait si, de tous ses habitants, ce n’est pas le chat qui connaît le mieux la maison ? J’y suis resté huit ans. La seule vertu de mon témoignage est d’être celui d’un homme "simple et grossier", comme était le domestique de Montaigne. Mais, à moi comme à Montaigne, "cette découverte d’un pays infini semble être de considération ". R.-L. B.