Avant la guerre de 1939, Belleville était une petite Grèce où se sont épanouies d'épaisses et tortueuses racines de l'Orient méditerranéen. C'était plus qu'un creuset : une marmite affairée, grouillante où les petits métiers, les types d'hommes et de femmes les plus divers, les odeurs et les bruits, la vie louche, la brutalité, les coups secs dans l'ombre, formaient comme un fumet d'histoire. En somme, tout y était possible, les distinctions de classes et de passés s'annulant devant cette énorme vie présente : rien n'y séparait jamais le mythe le plus archaïque de la violence quotidienne, et les Atrides cela pouvait être n'importe quelle famille d'ouvriers ou d'artisans en proie à la fureur passionnelle, dans ces rues populeuses où la jalousie et le sang avaient partie liée à chaque instant. Et puis, souvenez-vous, ces années-là c'était aussi l'étonnante vogue du mélodrame : du Grand Guignol aux mélos des comédiens ambulants, et jusqu'aux longues fioritures amoureuses du cinéma bourgeois, ce n'était que drames de la volupté et vendettas d'envieux ou de victimes. Comme si, du fond des temps d'autrefois, d'Arménie ou de Délos, des plateaux turcs comme des plages du Péloponnèse, le grand vent des mythes qui nous agitent encore de leurs secousses avait décidé de souffler un peu plus fort que d'habitude. Et quoi de plus naturel d'imaginer que ce soit à Belleville que le sang des Atrides ait choisi à nouveau de couler ? Et pourquoi pas Electre à Belleville, en 1927 ?