Dix ans, camarade ! Trois plis de plus au coin de l'œil... As-tu pris du ventre, une femme légitime et une carte du CERES pour attendre, d'un congrès à l'autre, le jour béni des 51 % ? As-tu lâché depuis longtemps nos pavés de Gay-Lussac pour empoigner une bêche écologique du côté de La Voulte (Ardèche) ? Désabusé, mais surveillant quand même avec une gravité patiente tes agnelages de février et la prochaine lutte finale... As-tu, militant acharné, scissionniste dans l'âme, navigué en zigzag de la gauche prolétarienne au Secours rouge, de Vive la Révolution aux Amis de la Terre ? Emmitouflé dans la tiédeur fraternelle des groupuscules, gueulard gonflé de toutes les manifs ; pilier méchant de la Mutualité ; adolescent poivre et sel, orphelin déjà... Et puis, suis-je naïf ? Mais ce lourd soupçon qui s'évapore laisse aussi renaître entre nous une sorte de chaleur conviviale qu'empêchaient jadis les haines de chapelle. Mieux qu'une chaleur même — osons lâcher le mot — une tendresse, voilà tout ! En déambulant maintenant des librairies parallèles aux journaux pirates, dans les mille recoins de la nouvelle marginalité, en lisant parfois les annonces de Libé, c'est bien elle qui crève les yeux : une tendresse qui ose enfin... Voici dix ans, nous parlions sans arrêt de porter l'imagination au pouvoir. Est-ce le moment de pleurnicher parce que devant nous — enfin — la page est blanche ?