Prenons deux exemples : Ludovic se rend chez Rolande, en compagnie de sa femme. Il a toujours rêvé de caresser le visage de Rolande, mais il n a jamais osé. Cette fois tout est changé : il est aveugle (et pour cause...) et ce sera désormais le privilège de l'infirme d'oser le geste mille fois rêvé. C'est une réussite, celle des yeux de l'amour. Par contre, dans Le papillon mauve, deux consommateurs à la terrasse d'un café s'aperçoivent, au fil de la conversation, qu'ils sont nés le même jour, à la même heure, qu'ils ont le même prénom, qu'ils ont les mêmes goûts et, pour ainsi dire, la même histoire. Ils tentent une expérience à partir d'un événement infime — une femme qui passe dans la rue — ils vont associer librement idée et rêveries. Ensuite, ils se racontent tout. Merveilleux là encore tout est semblable... à un détail près : le papillon d'Auguste est mauve, tandis que celui d'Auguste est rose. Tout est gâché. Les quatre autres nouvelles de ce premier livre de Jacques Fulgence (Une existence aventureuse, Implosion, La salamandre et L'homme à l'attaché-case manifestent le même attachement pour les choses au-delà des choses et le dérèglement qu'on peut y observer : la drôlerie du récit s'empare des ridicules que la caricature force jusqu'à l'autodestruction des personnages. On se prend soi-même à rêver que les personnages, ici si peu ménagés, auront un jour l'occasion de lire Les yeux de l'amour : ratés comme ils le sont, ils pourraient, dans l'instant où un claquement de doigts les fait disparaître, mourir de honte bien sûr, et mourir de rire. Ça les changerait, mais le résultat serait le même, lui aussi.