Douceur du chocolat, évocateur de délice fondant et de béatitude repue... De tout sauf de guerre meurtrière. Pourtant la guerre du cacao fait rage, du fond de la brousse ivoirienne, jusque dans les tranchées du marché à terme de Londres, en passant par les méandres du négoce international. Elle constitue un fantastique révélateur des circuits du pouvoir contemporain. La mèche de l'embargo, allumée par l'obstination du président Houphouët-Boigny, pourrait bien finir par mettre le feu aux poudres du scandale sous les lambris de l'Élysée. En décembre 1988, contre l'avis de l'administration française, le Palais décide d'octroyer 400 millions de francs à la république cacaoyère de Côte-d'ivoire. Est-ce la bonne méthode pour sauver la vitrine de la France en Afrique, dans l'ambiance de fin de règne qui plane sur Abidjan ? Les fonds publics débloqués permettront à une entreprise privée française d'arracher 400 000 tonnes de cacao : le contrat du siècle, qu'une des plus grandes sociétés américaines s'attachera à remettre en cause. Au-delà des enjeux politiques, ce document retrace le prodigieux bras de fer financier, que se livrent deux génies du négoce pour la maîtrise du marché mondial : un duel sans merci, pendant près de deux ans, dans la jungle sophistiquée des cols blancs. Entre les pérégrinations de la cabosse — cueillie dans les arbres par les paysans, vendue aux pisteurs qui sillonnent la brousse, puis exportée à destination des industriels — et les plaques de chocolat de nos supermarchés, il y a tout cet univers méconnu, où s'entrechoquent les contractés ; la misère des planteurs de la boucle du cacao, et la fortune des géants du commerce, l'exotisme le plus débridé, l'idéalisme le plus archaïque et le cynisme le plus cru.