Le théâtre doit être une arme. Le peuple doit prendre la parole. Tous doivent avoir le droit et les moyens de créer. L'émancipation des travailleurs doit être culturelle aussi bien que politique et économique. De cela nous étions convaincus. Musique, théâtre, peinture, écriture, etc., font partie de la vie, en sont l'expression la plus intense. Le temps de la liberté créatrice n'est rien d'autre que le temps de vivre. Il faut le réclamer, l'exiger, l'arracher. Pourquoi est-ce si difficile ? Quelles aliénations en ont dévié le goût, la nécessité ? Qu'est-ce que la culture ? qu'est-ce que la culture populaire ? la mémoire populaire ? Invention, expression, plaisir s'opposent-ils aux luttes quotidiennes, syndicales, politiques ? Qu'est-ce que la création artistique ? Un reflet de la réalité ou sa fuite ? Qu'est-ce que l'animation culturelle ? un alibi, un bouche-trou ? un éveil ? Ces interrogations parcourent le récit de notre aventure culturelle en milieu ouvrier à Saint-Nazaire. Nous les avons vécues, corps et âme, Gilles Petit et moi-même, comme animateurs employés par le Centre de culture populaire de Saint-Nazaire, depuis 1975. Sans réponses collectives, ni recettes, ni théories, nous ne pouvons que raconter ce qui a été vécu, impressions, difficultés, joies, rencontres. Ce texte, écrit à l'aide de mon journal et de différents enregistrements, est donc un témoignage, une interrogation, plus qu'une analyse. C'est le récit d'une comédienne, remise en question par Mai 68, pour qui le théâtre est un besoin, un appel, une arme, un cri, un pont entre les réalités de chacun et de tous.