Qui a lu Sade au XIXe siècle ? Ce siècle, à l'image de Janin, a vomi l'infâme Justine ! Mais, en revanche, sa lecture dessilla les yeux de quelques grands rêveurs, parmi lesquels Baudelaire, Lautréamont, Kafka, Nietzsche, Flaubert, Dostoïevsky, Balzac, Stendhal, bref tout le génie de l'époque. Et le XXe, depuis Apollinaire ? Pendant que d'aussi fervents biographes que Heine et Lely, œuvraient à la réhabilitation de Sade, d'autres poètes, comme Bataille, Blanchot, Breton, Klossowski, Mandiargues, Paulhan, en somme la première génération des grands sadistes, s'engageaient dans les enfers de l'œuvre, maison close, commerce de contrebande, appartenant encore au domaine séparé et vertigineux du sacré. À leur tour, se mesurèrent avec elle des curieux un peu moins religieux, dans la ligne esthétique de Barthes, ou sextuelle de Sollers. Aussi, quoi qu'en pensent sexologues et psychanalystes, la part maudite de Sade n'aura-t-elle été l'absolu littéraire que des seuls écrivains, et que d'eux seuls. Avec L'affaire Sade en 1956, les ténèbres de la censure ne résisteront pas à la lumière trop vive d'un procès public. Encore vingt ans, et sauteront les derniers verrous : les livres dangereux de Sade en livres de poche. Après les trouvères, les chercheurs. Après cent cinquante ans de silence, le colloque. Avec celui d'Aix-en-Provence en 1968, les professeurs vont oser publiquement prendre langue avec Sade. Et s'il n'eût manqué, à l'œuvre la plus inconvenante de notre littérature, que l'imprimatur de l'église universitaire, le voici donné en 1981 au colloque de Cerisy-la-Salle, par nos meilleurs dix-huitiémistes. L'agrégation des disjecta membra de Sade n'est pas loin. Michel Camus