Après ses prestigieux Mémoires d'une Européenne, Louise Weiss confirme avec ce roman ses multiples dons d'écrivain. Quelle force dans cette exploration des passions de la vieillesse à la recherche des dernières voluptés ! Passions mal connues, négligées même, et pourtant plus dévastatrices que celles de la jeunesse... Pour survivre, les vieillards du domaine de Montrésor vont transformer les futilités, dans lesquelles peu à peu ils s'engloutissaient, en sentiments sauvages et meurtriers. Ces vieillards, ce sont d'abord Amélie de Saverne, riche et autoritaire châtelaine, ensuite ses parentes, douairières apparemment respectables, ses domestiques — dévoués et vicieux —, enfin les pensionnaires de son hospice. Lorsque les Allemands arrivent et occupent Montrésor, pour les habitants du domaine c'est enfin une raison de revivre. Oubliant leurs rancunes, leurs jalousies, ils accordent leurs tremblotantes forces pour détruire des ennemis, armés jusqu'aux dents mais sans méfiance. Et ils réussissent, donnant ainsi libre cours aux instincts de puissance et de prédation qui sont les leurs, comme ils sont ceux du reste de l'humanité. Quant à Amélie de Saverne, figure centrale du roman, vieille femme stérile, violente et injuste, mais généreuse vis-à-vis de la jeunesse éclatante de vie qui hante parfois son château, elle connaît un drame personnel qui n'est pas moins terrible... Le style de Louise Weiss, son classicisme, sa causticité au service d'une observation aiguë, tout cela élève le récit jusqu'à l'épique — comme déjà dans les Mémoires. Montrésor, haut lieu de l'Auvergne, et les inoubliables personnages qui l'habitent, prennent alors une dimension plus que littéraire : magique.
