« C’était l’été de mes onze ans. Mon père m’avait emmenée à un tournoi de lutte bretonne. Je ne connaissais encore pas mon pays... J’allais — je me souviens — d’un pas sautillant, pour faire voler ma jupe autour de mes cuisses. Les petites filles ont des préoccupations souvent puériles le jour où leur nationalité leur arrive du fond des âges. La fête règnait sous les pommiers du champ, où la foule du dimanche mangeait des glaces, des crêpes et buvait du cidre ou de la limonade. Il y avait des drapeaux dans le ciel. Tous étaient blancs, rayés de noir, avec franc canton d’hermines. Le vent avait enroulé l’un d’eux. Et tout a commencé lorsque j’ai vu un garçon empoigner le mât, y grimper à la façon d’un indigène le long d’un cocotier antillais, et déployer le drapeau. Sur la tunique de lutteur que portait ce garçon, un mot était écrit : Breizh. Il n’en a pas fallu davantage pour orienter ma destinée. Si ce drapeau ne s’était pas déployé sous mes yeux, si ce mot Breizh ne m’était pas apparu, sans doute aurais-je dû, comme beaucoup, attendre Glenmor et Alan Stivell pour connaître ma vraie nationalité. Plus tard, je militai le plus activement possible, surtout à Nantes pendant mes années universitaires, particulièrement à la J.E.B. mais aussi à Galv. Je crois que Nantes a été une ville très difficile à réveiller sur le plan culturel. La situation s’est améliorée depuis mais, à l’époque, il m’arrivait souvent d’avoir des idées noires en contemplant le Château des Ducs. Je rends ici hommage à tous mes camarades d’alors : dans le milieu universitaire, tout était à faire il y a cinq ans, mais ils s’y employaient avec une foi merveilleuse... Avec eux, j’ai distribué des tracts, collé des affiches. J’ai désormais choisi d’écrire. L’avenir me dira à quel moment, et dans quel rôle, j’ai été le plus utile à la diffusion de l’Idée Bretonne, mon but. Ce qui arrive aujourd’hui, ce regain, ce renouveau celtiques, je pense qu’il importe avant tout d’en faire non plus seulement une mode, mais un idéal permanent. J’ai confiance. Cela naît. Cela sera. »