Depuis qu'il y a des lieux bâtis et habités, des noms usuels servent à s'y repérer (place des Bancs, Pont Neuf, place du Champ-de-Foire). Tout change avec la Révolution et, plus largement, avec la modernité industrielle… il n'y a plus assez de noms de lieux « naturels » et traditionnels, et il faut bien avoir recours à des noms de lieux choisis.Une bonne partie de l'onomastique urbaine date des années 1880. Coïncident alors, en effet, l'épanouissement des grands travaux urbains du siècle, la consolidation du régime républicain, qui se traduit en un nombre impressionnant de conquêtes du pouvoir local, et l'émotion intense suscitée par deux immenses deuils (Gambetta, 31 décembre 1882 ; Victor Hugo, 22 mai 1885). Ne cherchons pas plus loin l'omniprésence des rues, avenues ou places de la République, Gambetta, ou Victor Hugo. Les grands deuils de même époque, mais plus marqués à l'extrême gauche (Louis Blanc et Garibaldi, 1882) auront, naturellement, moins de place. Et il y en aura aussi relativement moins, les artères principales étant pourvues par les grands deuils des années 1890, Louis Pasteur (1895), et surtout Sadi Carnot, le chef d'État assassiné (1894).Nul doute, en tout cas, que la dénomination des rues ait constitué la forme la plus universelle, et d'ailleurs la plus facile, de l'éducation civique, par politisation du décor de vie quotidien.La difficulté et la complexité des choix, comme des attendus significatifs des décisions prises, transparaissent ainsi parfois dans cette étude sur les cas de Limoges, et ce n'est pas son moindre mérite.Reste que Limoges a été assez exemplaire de l'option onomastique la plus républicaine, la plus avancée, la plus universaliste.Maurice Agulhon, professeur au Collège de France.