Au XVIIe siècle, Pierre-Jean Vaillard aurait pu être l’amuseur officiel du roi. Élégant, discret, enrobant ses malices dans un gracieux écheveau de vers libres, détaché dans sa façon de laisser tomber chacun d’eux, il eût su flatter le roi d’une rime inattendue et le faire rire sous cape d’un trait décoché en demi-teinte à quelque courtisan. Aujourd’hui, l’homme d’esprit n’a plus pour roi Louis XIV, mais le public. Celui-ci n’a pas les mêmes raisons de rire discrètement. Le public a ses idoles, mais sitôt que surgit le frondeur qui les déboulonne, ce même public applaudit avec fracas. Paris a le goût du massacre. Il aime porter aux nues, pour mieux savourer la chute de ses héros ou simplement leur... « mise en boîte ». Pierre-Jean Vaillard est passé maître dans l’art de moquer. Il a pris les rythmes de La Fontaine, la nonchalance un peu hautaine de Guitry, et il doit sans doute à un accent provincial de corriger cette diction qui frise le ton précieux. Il ne baratine pas, il rabutine. Il a pris les échanges du Grand Siècle et, de sa hauteur, il laisse choir indolemment ses hémistiches pervers. Et l’on pourrait - à sa façon - dire comme ce grand garçon vous assassine en quatre mots Gilbert Bécaud, ou Constantine... En fait, il joue. Il n’est féroce qu’avec ceux qu’il tutoie. Je suis sûr qu’aucun ne lui garde rancune des flèches dont il l’a lardé. C’est la grâce de ceux qui peuvent tout dire : on admire leur justesse et leur drôlerie, alors même qu’on est leur victime. Privilège des chansonniers de grand talent. Pour ma part, je n’ai eu qu’à sourire — et parfois de confusion — c’était le jeu que Pierre-Jean Vaillard avait décidé de jouer avec moi : il me jetait des roses sans épines. J’avais la chance de n’être pas de ses amis. Mais, aujourd’hui, que je le suis devenu ?...