La question même comprend l’indécision dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui : le siècle écoulé doit une bonne part de ses horreurs à l’esprit d’utopie. D’un autre côté, renoncer à cet esprit au nom du réalisme, c’est rester soumis à la dictature du fait. On ne peut évidemment se réjouir du monde comme il va. Pour sortir de ce dilemme, l’acceptation de l’utopie au risque de la barbarie future, et la renonciation à l’utopie au risque de la barbarie présente, une distinction entre l’état de fait et l’état de valeur, paraît nécessaire. L’utopie dangereuse est celle qui prétend décrire une société idéale. L’utopie souhaitable est celle qui se contente de prescrire un certain nombre de valeurs : la paix, la liberté, la justice et la solidarité universelles. Nous n’avons pas à réhabiliter l’utopie prise dans ce sens, nous avons à la réaliser.