Avec L'œil de mer, François Bernadi nous donne — sur la guerre d’Espagne — un roman sincère, puissant et âpre. Non pas la guerre des combattants, vécue au jour le jour sur le terrain, mais celle qui se poursuit dans la tête et le cœur de l’exilé, du réfugié, du déraciné, du paria, toléré plus qu’accepté outre Pyrénées. En finit-on jamais de faire le deuil de son pays, de sa terre perdue ? De souffrir, lorsqu’on sait son peuple brimé et maintenu dans l’ignorance et la misère ? De se révolter devant la passivité de celui-ci, au prétexte de la fatalité ? Lorsque, au tournant des années 1960, le monde poursuit son inexorable marche, Gregorio, le héros du roman, en arrive « à l’amère conclusion qu’il nous faudra — un jour — défendre la liberté, non seulement contre le fascisme, mais aussi contre les démocraties... ». Constatant plus loin que « la lâcheté et le courage sont des maladies », il se dit « persuadé que le geste d’un homme peut suffire » pour changer le cours des choses. Publié — dans sa première édition chez Gallimard — en 1962, il y a tout juste cinquante ans, L’œil de mer s’inspire de l’histoire de José Ramón Perez Jurado, réfugié dans le Lauragais près de Toulouse, mort en février 1960 à Madrid par l’explosion d’une bombe artisanale. L’œil de mer porte la marque d’Albert Camus, parrain en littérature de François Bernadi.