Par quels cheminements de l’existence Georges-Henri Guiraud se retrouve-t-il, début 1947, en Extrême-Orient ? Le roman qu’il publie aujourd’hui se veut discret sur ces sortes de problèmes. D’ailleurs, beaucoup plus qu’une autobiographie, « Aux frontières de l’Enfer » apporte le bilan humain d’une guerre perdue. Langue ample, riche, fourmillant d’images ; récit brutal d’un univers sadique — mais écrit avec le cœur ; — un certain « ton » où perce une nostalgie construite de réminiscences spirituelles ; une foi certaine dans la libération des peuples opprimés. L’on a torturé dans les deux camps : au nom de quoi justifier l’injustifiable ? Ni l’épopée tricolore pour les uns, dont le romancier se sépare, ni le combat national pour les autres, à l’égard desquels il ne cache pas sa sympathie, ne peut être appelé à la barre par une impensable défense : pour l’Indochine comme pour l’Algérie, Georges-Henri Guiraud se place lui-même au-dessus de sa conviction historique, et ainsi la définit intégralement ; il s’inscrit en faux contre les faussaires de la conscience morale, contre les stratèges qui méprisent l’humanisme. Car c’est dans le souffle très pur de cette tradition éternelle, de. cette exigence du cœur et de la raison, que cet ouvrage capital puise sa force de réquisitoire. Au débouché d’une route aride, bouleversante, que le lecteur parcourt passionnément jusqu’au bout et dont il sort épuisé, très las, vient le besoin d’horizons respirables : le langage étonnant de la camaraderie tranchée net par la mort, le cri des âmes douloureuses qui hantent les marais et les rizières, dressent le faisceau d’une prière impossible vers une divinité à laquelle l’auteur ne croit plus.